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Deux hommes dans une maison isolée dans la forêt.
L'un va mourir, l'autre va lui survivre.
Ensemble, ils vont tenter de circonvenir la mort qui vient.
Cannibale est le récit de cette tentative.

D'après une histoire originale de Maud Lefebvre

Texte Agnès D'halluin

Mise en scène Maud Lefebvre

Avec : Arthur Fourcade et Martin Sève

Scénographie : Maud Lefebvre, Charles Boinot & Stanislas Heller

Création lumières : Valentin Paul

Création vidéo : Charles Boinot et Clémént Fessy

Création sonore : Clément Fessy 

Construction/ Machinerie : Stanislas Heller

Cannibale a été produit et co-produit par le Collectif X et le Théâtre du Verso


Dans l'histoire que nous voulons raconter, la perte qui s'annonce est inacceptable. Elle ne peut être anticipée, elle ne peut être prévenue, elle ne peut être apprivoisée. Quelle que soit la façon dont on la présente, il n'est pas possible de la circonvenir pour en faire quelque chose qui ne soit pas une fracture dans la réalité. La question du deuil s'est invitée très concrètement dans notre processus de travail, et il est devenu clair que la mort ne pouvait pas devenir la métaphore ou le moyen d'autre chose.
De même, il n'était pas possible de traiter le cannibalisme uniquement sous des modes métaphoriques si nous voulions lui rendre son caractère marginal, déplaisant, tout en laissant affleurer ce sens rituel et aimant qu'évoque Lévi-Strauss.
Nous avons donc choisi de faire aussi de la pièce un terrain où les personnages eux-même posent la question de la fiction, du pouvoir de l'image poétique, comme consolation, comme guide, comme perspective, comme leurre.

Thème

« Aucun ethnologue sérieux ne conteste la réalité du cannibalisme, mais tous savent aussi qu'on ne peut le réduire à sa forme la plus brutale consistant à tuer des ennemis pour les manger. Cette coutume a certes existé, ainsi au Brésil où – pour m'en tenir à ce seul exemple – quelques voyageurs anciens, et les Jésuites portugais qui, au XVIe siècle, vécurent pendant des années parmi les Indiens et parlaient leur langue, en furent les très éloquents témoins.
A côté de cet exo-cannibalisme, il faut faire sa place à un endo-cannibalisme qui consiste à consommer en grande ou très petite quantité, à l'état frais, putréfié ou momifié, la chair soit crue, soit cuite ou carbonisée de parents défunts. Aux confins du Brésil et du Vénézuela, les Indiens Yanomami, malheureuses victimes, on le sait, des exactions des chercheurs d'or qui ont envahi leur territoire, consomment encore aujourd'hui les os préalablement pilés de leurs morts.
Le cannibalisme peut être alimentaire (en période de pénurie ou par goût pour la chair humaine) ; politique (en châtiment des criminels ou par vengeance contre les ennemis) ; magique (pour assimiler les vertus des défunts ou, au contraire, pour éloigner leur âme) ; rituel (s'il relève d'un culte religieux, d'une fête des morts ou de maturité, ou pour assurer la prospérité agricole). Il peut enfin être thérapeutique comme l'attestent de nombreuses prescriptions de la médecine antique, et en Europe même dans un passé qui n'est pas si lointain. Les injections d'hypophyse et les greffes de matières cérébrales, dont j'ai parlé, les transplantations d'organes devenues pratique courante aujourd'hui relèvent indiscutablement de cette dernière catégorie.
Si variées sont donc les modalités du cannibalisme, si diverses ses fonctions réelles ou supposées, qu'on en vient à douter que la notion de cannibalisme, telle qu'on l'emploie couramment, puisse être définie de façon quelque peu précise. Elle se dissout ou s'éparpille dès qu'on tente de la saisir.
[…]
Inversons cette tendance et cherchons à percevoir dans toute leur extension les faits de cannibalisme. Sous des modalités et à des fins extrêmement diverses selon les temps et les lieux, il s'agit toujours d'introduire volontairement, dans le corps d'êtres humains, des parties ou des substances provenant du corps d'autres humains. Ainsi exorcisée, la notion de cannibalisme apparaîtra désormais assez banale. Jean-Jacques Rousseau voyait l'origine de la vie sociale dans le sentiment qui nous pousse à nous identifier à autrui. Après tout, le moyen le plus simple d'identifier autrui à soi-même, c'est encore de le manger. »

Claude Lévi-Strauss, « Nous sommes tous des cannibales », article paru dans La Repubblica le 10 octobre 1993, éd. du Seuil, 2013


La réflexion de Lévi-Strauss prend place dans le cadre d'une œuvre tout entière attachée à déconstruire les différences d'approche entre les sociétés dites « civilisées » et les sociétés dites « primitives ». Dans « Nous sommes tous des cannibales », il prend la notion de cannibalisme à parti de sa démonstration. Après tout, dit-il, nous aussi, européens, sommes parfois cannibales, en trichant avec cette notion.

Ce n'est pas l'aspect ethnologique qui nous a intéressés à traiter cette thématique, mais cette possibilité, évoquée comme en passant par l'ethnologue, d'un cannibalisme rituel ou magique, appliqué, non à un rapport de filiation et d'admiration, mais à un rapport amoureux.


Le rapport entre amour et dévoration, entre désir et nourriture est presque un poncif. C'est cependant cette même évidence qui a suscité ce sujet.
« Je comprends parfaitement qu’on ait envie de manger quelqu’un...par amour je veux dire...Mais le problème c’est qu’une fois qu’on a mangé l’autre, et bien on se retrouve tout seul.».
C'est que ce rapport n'est pas seulement métaphorique. Dans le désir, il existe, ce souhait de s'approprier l'autre, de se l'aliéner. Et l'amour est aussi une des places où l'autre est cet être de chair aussi, ce corps toujours présent et à portée de main, mais jamais suffisamment proche.


Le célébrissime cas du cannibale japonais, Issei Sagawa, qui a mangé le corps de son amie néerlandaise, est un fait divers qui a énormément fasciné. Les analyses psychologiques du meurtre, de l'acte de cannibalisme et des commentaires mêmes qu'en a fait Sagawa après coup, ont été abondants et ne sont par ailleurs pas dénués d'intérêt. Toutefois, ce n'est pas cet aspect horrifique et spectaculaire qui motivait l'idée originale de Cannibale, et c'est en cherchant à éviter ces problématiques de meurtre et de rapport de force qu'a émergé la trame de l'histoire du spectacle.


Plus proche de nos préoccupations était l'histoire de Timothy Treadwell, dit Grizzly Man, passionné, amoureux fou des ours, qui fut dévoré par l’un d’entre eux. Werner Herzog en a tiré un documentaire extrêmement perturbant. Certains protagonistes y disent, en parlant de Timothy, que la meilleure chose qui pouvait lui arriver c’était d’être dévoré par ce qu’il désirait le plus. Que la nature, avec toute sa sauvagerie, ne pouvait donner ni autrement, ni plus.


Le cannibalisme est un sujet très délicat, pas uniquement parce qu'il est tabou mais aussi parce qu'il est l'objet de fantasmes très construits. Très vite, il nous est apparu que nous souhaitions l'explorer comme une façon extrême de traiter les thématiques de l'amour et du deuil.

 

 

 

                                                                                                                                                                                    AD

Écriture et mise en scène

J'avais une histoire bien précise en tête, il s'agissait d'un huis clos entre deux hommes. L' un des deux devait mourir, et l'autre pour "survivre" à cette mort imminente de l'être aimé, allait devoir se battre. Pour un tel sujet, il fallait une écriture légère, drôle et profonde en même temps, je ne voulais pas d’une pièce morbide et sombre. Il fallait parler d’amour. Le travail d’Agnès mélange, pour moi, ces trois qualités. Agnès avait les mots, moi les silences.
A nous deux nous pouvions parler de chairs, non pas la chair qui sert à nourrir l’être de façon vitale, mais de chairs, d’enveloppes, de corps qui suscitent et en même temps rassasient le désir. La violence ne doit pas être dans le sang mais dans ce même désir et dans la frustration qu’il suscite.

 

 

CANNIBALE est une pièce qui mélange le réalisme et le symbole et cela sur plusieurs plans. L'écriture ne cesse de passer du langage parlé aux envolées lyriques, du «passe moi une clope» au thème de la déchéance humaine par exemple.
Quant à la mise en scène elle passe également par ces deux notions. Le réalisme permet pour moi une lecture très facile des codes, parce qu’il n’y en a presque pas justement. Le son de l’eau qui coule est remplacée par de l'eau qui coule réellement sur scène. Quand les spectateurs entrent en salle, ils se retrouvent immédiatement dans l'intérieur d’un petit chalet perdu dans la forêt. Tout y est très concret. Les acteurs cuisinent, mangent, dorment et se lavent sur scène. C’est ce rapport là qui m'intéresse, il y a au cinéma un rapport immédiat à l’art. Le cinéma permet de montrer une intimité avec les personnages, grâce aux plans (rapproché, très gros plan) mais également grâce au son. Je cherche à montrer cette intimité avec la proximité corporelle de l’acteur. Je cherche à montrer l’intimité, le détail, le sentiment caché... ce que l’on ne montre pas habituellement au théâtre.

La pièce est née d’une première image qui existe dans le spectacle. Un des deux acteurs rentre dans la maison et se met à cuisiner un morceau de viande. Même si le spectateur ne connait pas l’intrigue, quelle réaction suscite chez lui l‘odeur et le son de la viande qui cuit quand on connait l’intitulé de la pièce ? L’odeur existe réellement et la viande qui est en train de cuire également, et même si nous savons que nous somme au théâtre cela peut créer une sensation de mal aise. Cannibale joue sur ce paradoxe du réel et du symbole. Les personnages, par exemple, ne portent pas de nom et ce n’est pas un hasard. Jamais en effet ils ne s’interpellent par des prénoms (dans le texte ils sont désignés par L'un et L'autre). Il semble alors qu’ils pourraient s’appeler Arthur et Martin, comme les acteurs, en tout cas rien ne l’indique. De cette façon, on éloigne un peu la notion de fiction.

 

 

Le traitement de la vidéo est également important, il y a par exemple dans le spectacle, une scène qui se passe dans une voiture. Pendant les répétitions au TNP, nous avions trouvé un système qui fonctionnait à merveille, nous avions vraiment l’impression que la voiture existait. Seulement ça n’allait pas. Le réalisme dans lequel nous nous trouvons, quand nous sommes dans la maison, ne pouvait pas exister avec la scène de la voiture, car même si le procédé que nous avions trouvé était au plus proche, il n’y avait pas de voiture réelle sur scène. Pour moi, quand nous sommes en dehors de cette maison les codes théâtraux existent et ils sont nécessaires puisqu'ils nous permettent de réaliser l'irréalisable. Il y donc deux espaces, un espace très réel qu’est la maison, et l'extérieur de la maison, situé en avant scène où tout est presque mimé : le volant de la voiture, une cabine téléphonique etc

 

J'ai été touché par certain retours concernant l'homosexualité dans Cannibale, j’ai imaginé cette histoire entre ces deux hommes et je crois que cela aurait été vraiment différent s’il était agi d’un couple homme/femme ou femme/femme. Les rapports de force sans doute... Je ne voulais pas parler d’homosexualité comme thème principal ça aurait rendu le sujet peut être stigmatisant, nous l’avons abordé avec Agnès comme une évidence plutôt banale. Deux hommes avec des personnalités bien différentes s’aiment, point. Ce qui est important, c’est ce qu’il va découler de cet amour et je crois que c’est cela qui plaît le plus finalement.

 

 

Ces deux personnages ont des tempéraments assez différents. Dans cette histoire il fallait que L’un ramène de la lumière à L’autre. Je me suis donc servie de la différence présente chez les deux acteurs. Martin Sève (L'un) et Arthur Fourcade (L'autre) , sont eux mêmes des acteurs avec des caractères et une énergie différentes.  Martin est un acteur lumineux et assez juvénile je trouve, et c’est cela qui m'intéresse chez lui.  Quant à Arthur c’est un acteur roc et sécurisant, d’une sérénité implacable. On comprend que L’un ait peur de se retrouver sans L'autre tant il semble fragile. Les deux semblent parfaitement complémentaires, et il est douloureux de les savoir séparés mais joyeux de les avoir vus et découverts ensemble.

 

 

                                                                                                                                                                                

MD

 

 

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